La révolution IA est en marche, y compris au sein des collectivités territoriales, bouleversant le monde du travail, impactant nos vies, et nous sommes peut-être encore loin d’imaginer toutes les répercussions. Un sujet brûlant au cœur de l’actualité, objet de toutes les attentions, auquel l’Union mutame a décidé de consacrer un dossier « L’IA : entre promesses et réalités », vous proposant un décryptage à travers toute une série d’articles.

L’Intelligence Artificielle (IA) s’invite désormais de plus en plus dans les collectivités territoriales.

En témoigne les chiffres du baromètre de l’Observatoire Data Publica sur la data et l’IA (1), publiés le 12 novembre dernier (289 collectivités interrogées dont 43 % de communes de moins de 3 500 habitants) :

  • à la mi-2024, une collectivité sur deux (51 %) annonce soit avoir déjà mis en place ou testé un Système d’Intelligence Artificielle (36 %), soit vouloir le faire dans les douze prochains mois (15 %), alors qu’elles n’étaient que 21 % dans ce cas en 2022. Un bond que l’Observatoire attribue à l’IA générative, citant en exemple les chatbots ou robots conversationnels.
  • Autre enseignement : 29 % des projets engagés en 2024 concernent la gestion administrative et 11 % la relation aux usagers et pourraient représenter 56 % des nouveaux projets en 2025.

L’IA est donc en train de transformer le monde du travail, et il faut encore s’attendre à des bouleversements, tant cette technologie est en pleine mutation !

D’ailleurs émerge déjà un nouveau concept « d’agent virtuel qui va piloter plusieurs systèmes d’IA et faire une séquence complète d’un métier », comme l’explique Yann Ferguson, directeur scientifique du LaborIA à l’INRIA et spécialiste des mutations du travail (2).

Une évolution des métiers avec la suppression de certaines tâches

A la question de savoir si l’IA va supprimer des emplois dans la Fonction publique territoriale, le premier rapport sénatorial traitant de l’IA dans l’univers des collectivités, présenté le 13 mars 2025 (3), explique qu’« il n’existe pas de réponse documentée », faute d’étude qui y est spécifiquement consacrée.

Le travail réalisé par des élèves de l’Institut national des études territoriales (INET), en 2023-2024, dans le cadre d’un projet pour la Ville de Lyon (4), est le seul, à ce jour, à apporter un éclairage.

Ces derniers ont produit une cartographie des métiers concernés par l’IA basée sur la méthodologie de l’Organisation mondiale du travail (OMT) appliquée au tableau des effectifs de la Ville de Lyon (lire encadré).
Selon eux, « il ne faut pas s’attendre à une disparition massive de certains métiers au sein de la commune témoin, mais plutôt à des évolutions du contenu des tâches des métiers : par exemple la saisie de données pourrait être remplacée par du temps de travail dédié à l’analyse des dossiers ou des données ».

Il importe donc de bien distinguer tâches et emplois, la suppression de tâches ne signifiant pas forcément suppression du métier.

Ce que montre également cette cartographie, relate son auteur-rédacteur Cyril Demoures, administrateur territorial, « c’est que les impacts sur les organisations peuvent être importants avec des façons de fabriquer le service public qui peuvent changer et à terme des tâches qui seront plutôt effectuées par l’IA que par les personnes et donc une ventilation peut-être plus importante des ETP vers les métiers de la personne et les métiers de terrain que dans les fonctions ressources ».

Une opportunité pour les collectivités de repenser les façons de travailler

En automatisant des tâches répétitives, fastidieuses, prévisibles, souvent associées à des métiers de bureau, l’IA permet de gagner en efficacité et en productivité, et devient une opportunité de repenser les façons de travailler.

Le Cercle des acteurs territoriaux, dans son rapport « Service Public : L’intelligence humaine aux commandes de l’IA » (5), y voit ainsi une opportunité de « recentrer la valeur humaine sur des fonctions à très forte valeur ajoutée au service du lien humain et la proximité, de l’écoute des territoires, de la valeur des individus dans le collectif… ».

Les collectivités ont également bien saisi le potentiel de l’IA comme outil d’aide et d’assistance dans leur fonctionnement : prise de rendez-vous, élaboration de comptes-rendus, recherches juridiques, synthèse de documents, rédaction des délibérations, d’actes administratifs, des marchés publics, de discours…

En marge du Sommet pour l’Action sur l’Intelligence Artificielle qui s’est déroulé en France les 10 et 11 février derniers, le ministre de l’Action publique, Laurent Marcangeli, a d’ailleurs annoncé la mise à disposition prochaine d’un équivalent de ChatGPT aux 5,7 millions d’agents publics, y compris donc les agents territoriaux, répondant à un objectif d’amélioration de l’efficacité administrative.

Le ministre, à cette occasion, s’est voulu rassurant, expliquant que « l’IA n’a pas vocation à remplacer les agents ».

Le rapport sénatorial du 13 mars 2025 estime ainsi que « l’IA peut constituer une nouvelle étape dans l’organisation interne des collectivités », identifiant plusieurs secteurs « comme des terrains privilégiés pour le développement et le recours à l’IA » : services informatiques, services juridiques, services des ressources humaines, gestion comptable et budgétaire, services de la communication ou encore cabinets des exécutifs locaux et secrétariats administratifs.

Accompagner une montée en compétences et une meilleure compréhension de l’IA

Encore faut-il que les agents et les élus soient réceptifs, comprennent ce qu’est l’IA et comment l’utiliser.

« Moi-même lorsque j’ai entendu pour la première fois parler d’IA au cours d’une réunion au Sénat, je me suis trouvée totalement démunie », a confié la sénatrice Pascale Gruny, lors de la présentation du rapport le 13 mars dernier, dont elle est rapporteure avec la sénatrice Ghislaine Senée.

Parmi les principaux obstacles à la diffusion de l’IA dans les collectivités, selon le baromètre Data Publica, pour celles qui n’ont pas encore engagé de projet IA :

  • Le manque de compétences (63%)
  • Le manque de confiance dans l’IA (47%)

Il est donc à la fois indispensable et urgent de sensibiliser pour « démystifier l’outil » et rassurer, mais aussi d’anticiper les mutations des postes les plus affectés ou encore les reconversions, et d’accompagner ces transformations en termes de formation, pour acquérir connaissances et compétences.

Ne pas hésiter d’ailleurs à s’appuyer sur les ressources en interne. Chef du service de l’analyse et du contrôle de gestion du Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, Cyril Demoures, qui encadre une équipe de 14 agents, a par exemple utilisé le « jeu sérieux » (ou serious game, associant un objectif sérieux à un moyen ludique inspiré des jeux vidéos) pour leur permettre de comprendre les enjeux liés à l’IA et les a accompagnés pour tester ChatGPT.

Des offres de formation se développent également pour les agents (cf notamment la nouvelle offre IA du CNFPT lancée fin février 2025) comme pour les élus, mais à eux d’en faire la démarche… Aux managers aussi d’encourager leurs équipes à le faire !

L’IA, une question de choix pour les collectivités

Qu’est-ce que la collectivité veut faire de l’IA, c’est là tout l’enjeu, qui nécessite une vraie réflexion et d’avoir une vision stratégique.

« Il y a ce que l’IA a la capacité de faire et ce que nous voulons que l’IA fasse. C’est la question fondamentale que nous, dirigeants territoriaux et élus, devons nous poser aujourd’hui, témoigne Cyril Demoures. Il y a certaines tâches que l’on peut décider de ne pas déléguer à une IA parce que ce n’est pas notre conception du service public. Le métier d’agent d’accueil en est un très bon exemple, en choisissant de ne pas mettre des chatbots directement en lien avec les usagers mais de privilégier un chatbot qui aide l’agent à répondre, qui soit au service de l’agent, pour garder un visage humain ».
Ou comme l’a fait la Ville de Suresnes (6), d’utiliser le chatbot pour toutes les informations pratico-pratiques, fondées sur des informations fiables, et ainsi décharger l’agent pour qu’il se concentre sur des publics plus fragiles.

Point de vigilance : même si l’IA s’améliore sans cesse, que les réponses sont de plus en plus précises, des erreurs subsistent.

« Elle n’arrive pas à dire « je ne sais pas » et invente parfois, pouvant apporter des réponses fausses. Et quand on parle de service public, cela peut avoir des conséquences assez importantes. C’est pourquoi on souhaite toujours garder un contrôle humain, ce qui est d’ailleurs préconisé par les pouvoirs publics en France », relate Cyril Demoures.

Autre problématique à l’heure où les budgets des collectivités se trouvent fortement diminués : celle du coût et des moyens financiers que représentent le développement de l’IA et la formation à l’outil. Même si l’IA peut aussi représenter pour les collectivités un levier d’attractivité.


Par Estelle Chevassu (article rédigé sans l’aide de l’IA).

Focus

« L’outil de cartographie des métiers concernés par l’IA dans les collectivités » réalisé par les élèves de l’INET.

« Sensibiliser les élus et dirigeants territoriaux aux changements à venir pour leurs organisations » et « orienter les ressources d’accompagnement du changement vers les secteurs et les métiers les plus concernés » sont les objectifs de ce travail.

Ce qu’il faut en retenir, à l’échelle de la ville témoin :

  • 55 % des métiers seraient épargnés par l’IA, 5 % seraient très concernés, 15 % concernés et 35 % peu concernés.
  • 25 % des tâches des métiers exercés peuvent être effectuées, en totalité ou en partie, par l’IA générative.
  • Les filières administratives et culturelles sont beaucoup plus impactées que les filières techniques, sociale et médico-sociale.
  • Les « cols blancs » sont davantage touchés que les « cols bleus » à des évolutions de leurs métiers (selon l’OMT, confirmé dans la ville témoin), contrairement aux révolutions technologiques antérieures.

Nous avons posé la question « Est-ce que le métier d’assistant administratif dans les collectivités territoriales va disparaître, remplacé par l’IA ? » à Mistral.AI et ChatGPT. Voici leur conclusion :

Pour le premier :

En résumé, bien que l’IA transforme le métier d’assistant administratif dans les collectivités territoriales, elle offre également des opportunités pour améliorer l’efficacité et la qualité des services publics. Les assistants administratifs devront s’adapter à ces nouvelles technologies, mais leur rôle restera crucial dans la gestion et la supervision des processus administratifs.

Pour le second :

Le métier d’assistant administratif ne disparaîtra pas, mais il sera amené à évoluer vers plus de coordination, de gestion et de relationnel. L’IA sera un outil d’aide plutôt qu’un remplaçant total.


(1) 3e édition du Baromètre de l’Observatoire Data Publica 2024.

(2) Interview pour le média Solutions numériques du 3 février 2025.

(3) « L’IA dans l’univers des collectivités territoriales », un rapport de Pascale Gruny et Ghislaine Senée, sénatrices et rapporteures, adopté le 13 mars 2025.

(4) « Un outil de cartographie des métiers concernés par l’IA dans les collectivités », une étude de l’INET 2023-2024, rédigée par Cyril Demoures, avec la participation de Elmira Aliyeva, Cyril Philis et Laurine Aubert.

(5) « Service Public : L’intelligence humaine aux commandes de l’IA », un rapport du Cercle des acteurs territoriaux, octobre 2023.

(6) A lire dans un article de la Banque des Territoires « Suresnes mobilise l’IA pour une démocratie locale plus inclusive (92) », 27 novembre 2024.