Toujours plus confrontés à la violence et au cyberharcèlement, les enfants et adolescents sont nombreux à souffrir en silence, au point, parfois, de commettre le pire. Un pédopsychiatre nous éclaire sur ce phénomène grandissant…
Ultraviolence, sexualité précoce, cyber-harcèlement, humiliations… Les ados et les enfants d’aujourd’hui sont confrontés à de nouvelles violences pas toujours simples à gérer, que ce soit pour les parents ou les experts médicaux. Souvent perdus entre la réalité et le monde virtuel qui les happe, les jeunes pensent parfois au pire : chaque année en France, entre 600 et 1 000 adolescents mettraient fin à leurs jours… Pédopsychiatre depuis près de quarante ans et auteur du livre Je suis ado et j’appelle mon psy, Thierry Delcourt constate chaque jour dans son cabinet les conséquences de la violence sur la nouvelle génération. Il nous explique la situation et nous donne des clefs pour enrayer ce phénomène.
De quelle violence parle-t-on exactement ?
« Il faut distinguer la violence que tous les ados peuvent connaître à leur âge, notamment dans les relations conflictuelles qu’ils peuvent entretenir avec leur entourage, et les autres violences qui engendrent une réponse impulsive. Il peut s’agir de la violence d’un groupe, d’une violence humiliante comme celle qui se pratique sur les réseaux sociaux, mais aussi de violence sociale, notamment dans les quartiers défavorisés où les jeunes vivent dans un monde plein de barrières où il leur est difficile de se projeter. »
Quel est le profil de ces ados qui subissent la violence et le cyberharcèlement ?
« Il y a d’abord les ados angoissés avec des idées suicidaires. Il faut savoir que le suicide est désormais la première cause de mortalité chez les jeunes, avec une nette progression chez les 11-14 ans. Il y a aussi ceux qui souffrent de phobies scolaires et de cyber-harcèlement. Mais je reçois également des jeunes qui sont eux-mêmes des harceleurs. Soit ils ne mesurent pas la gravité de leurs actes, soit ils sont dans un défi permanent. Enfin, beaucoup d’adolescents viennent consulter seuls, sans prévenir leurs parents, notamment pour des questions liées à l’identité sexuelle. »
Les filles sont-elles plus touchées que les garçons ?
« C’est kif-kif et la violence touche tous les âges ! En revanche, les garçons sont davantage concernés par les phobies scolaires par exemple, tandis que les filles souffrent surtout d’angoisses, de harcèlement, d’anorexie et sont plus largement victimes d’agressions sexuelles. »
Peut-on dire qu’internet et les réseaux sociaux ont fait empirer la situation ?
« Il y a une bien-pensance qui affirme que les réseaux sociaux ou les jeux vidéo n’ont pas d’impact sur les enfants. C’est évidemment faux ! Les jeunes confrontés à des images traumatiques peuvent reproduire la violence à laquelle ils sont exposés s’ils n’ont pas la capacité de digérer ce qu’ils voient. Les jeux vidéo aussi floutent la frontière entre le réel et le virtuel, si bien que certains ne savent plus identifier la réalité. Quant aux réseaux sociaux, ce sont des bons outils, mais lorsqu’ils sont le théâtre de cyber-harcèlement, c’est redoutable ! Il s’agit probablement de la violence la plus importante. En revanche, on ne peut pas dire qu’il y ait une banalisation de la violence car la sensibilisation à ces questions est beaucoup plus importante aujourd’hui. »
Comment reconnaître un ado en souffrance ?
« Le moindre changement de comportement doit mettre la puce à l’oreille. Chez certains, on observe un repli, une volonté de fuir le contact et des résultats scolaires en baisse. Chez d’autres, la souffrance se manifeste par la violence, les ados deviennent agressifs et ont tendance à reproduire ce qu’ils subissent sans forcément pouvoir le formuler. »
Quel est le rôle des parents pour prévenir la violence et le cyberharcèlement ?
« Pour les plus jeunes, les parents doivent avoir un regard sur les réseaux sociaux utilisés par leur enfant. Il faut aussi les informer très tôt sur l’emprise qu’ils peuvent ressentir lorsqu’ils sont harcelés. Il faut absolument trouver des temps de dialogue, la communication est primordiale pour éviter les situations dramatiques. »
Et au niveau législatif ?
« Le dispositif législatif actuel est suffisant et les établissements scolaires sont de plus en plus nombreux à multiplier les initiatives pour prévenir la violence. En revanche, il ne faut pas se voiler la face : les taux de suicide ne s’améliorent pas malgré les campagnes de prévention et l’on ne peut pas dire que les choses vont bien. Il faudrait davantage informer la population au niveau local, en organisant des réunions débats dans les grandes et moyennes villes car les gens sont prêts à se déplacer. »