Tout le monde en a déjà fait l’expérience : certaines musiques ou chansons ont le pouvoir d’apaiser les angoisses et de réveiller des émotions ou des souvenirs parfois très profondément enfouis. Les séances de thérapie par le chant apportent aux personnes âgées dépendantes des moments d’apaisement, de bien-être et même de joie.
Depuis 2005, Elisabeth Réminiac, art-thérapeute, travaille pour plusieurs établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) de la Mutualité française Finistère-Morbihan. Sur indication médicale, elle y dispense des séances d’art-thérapie à dominante musique auprès de personnes atteintes de pathologies liées au vieillissement, voire de démences comme la maladie d’Alzheimer. « Il existe deux grands courants d’art-thérapie, explique-t-elle : l’art-thérapie traditionnelle, qui est une psychothérapie à support artistique, et l’art-thérapie dite moderne, que je pratique, où j’utilise ce qui fonctionne encore chez la personne. L’activité artistique est alors un moyen pour aller chercher chez elle l’expression, la communication, la relation. » La jeune femme intervient dans un objectif thérapeutique, fixé par le médecin qui l’oriente vers les patients qui en ont le plus besoin. « C’est un travail d’équipe, auquel psychologue et infirmières sont associées »,souligne-t-elle.Après chaque séance, qui peut être collective ou individuelle selon les cas, une fiche d’évaluation est remplie sur le logiciel de l’établissement, et des bilans sont régulièrement effectués.
Le pouvoir des chansons
« Lors des premières rencontres, beaucoup me disent qu’ils ne savent pas chanter, mais même si c’est plus ou moins bien, tout le monde sait chanter », témoigne Elisabeth Réminiac, avant d’ajouter que : « des enfants de résidents se sont émus d’entendre pour la première fois de leur vie leur mère ou leur père chanter. » La musique permet de remonter le temps et de réveiller des souvenirs très anciens. Certains, qui sont à un stade avancé de la maladie d’Alzheimer, « ne parlent plus mais sont capables en revanche de fredonner une chanson en entier, constate-t-elle. Ce sont celles de leur enfance qui restent le plus longtemps dans leur mémoire. » Son but : aller chercher dans les émotions, donner la possibilité de s’exprimer, montrer que l’on est encore capable de faire des choses.
Rompre l’isolement
Avec le chant vient souvent aussi l’envie de partager. Les personnes âgées évoquent leur jeunesse et cela permet de recréer du lien, lors des séances de groupe, notamment. « Au début, elles marmonnent, c’est très discret, puis elles chantonnent et finissent par chanter. Tout se fait progressivement, à leur rythme. De voir les autres le faire, ça leur donne envie. Et puis le ressenti n’est pas du tout le même avec la musique en live qu’avec un enregistrement audio. Les pieds bougent, les bras miment les mouvements du chef d’orchestre. » Pour pallier les difficultés physiques, auditives ou visuelles, Elisabeth Réminiac utilise de temps en temps un micro ou se rapproche (elle s’accompagne avec différents instruments : guitare, accordéon…). Elle s’adapte. Son répertoire de chansons est très vaste, pour répondre à tous les goûts. Elle fait aussi des séances individuelles pour les plus introvertis ou ceux qui sont alités.
Des bulles de bonheur
Pendant le confinement, la jeune femme a contribué à rendre l’isolement des résidents moins pesant. « J’ai eu le cas au mois de mai d’un monsieur très apathique qui, contre toute attente, a chanté durant toute la séance. Après mon départ, il a continué. Il a chanté tout le reste de la journée, raconte-elle en souriant. Quand je vois quelqu’un arriver en fauteuil, la tête complètement penchée, je me dis parfois que je ne vais pas réussir. Mais cela arrive rarement. Ce sont de petites choses. Des fois c’est juste un regard, des yeux qui pétillent, d’autres fois j’ai un sourire ou un « merci ». J’assiste quasiment à une naissance de la personne. Je ne suis pas une magicienne, mais il y a souvent quelque chose qui se passe, un changement d’humeur. Ils reprennent un peu goût à la vie, une petite flamme se rallume. » L’art-thérapeute se souvient avec émotion d’un patient en fin de vie : « Le personnel soignant m’avait indiqué qu’il avait été professeur de philosophie à Paris et qu’il aimait la musique classique et les chansons à texte. Je l’ai vu cinq fois. Je ne savais pas si cela lui faisait du bien, mais un jour il a ouvert les yeux et il m’a dit : “C’est beau, merci”. Une autre fois, une dame qui était très émue et redynamisée par la séance m’a déclaré : “Vous devriez être remboursée par la Sécurité sociale, c’est mieux que les médicaments”. »