Après 15 années de calme plat, de nouvelles connaissances sur la maladie et l’arrivée de nouveaux traitements dans les migraines sévères changent la donne. Désormais, une majorité des personnes migraineuses peuvent être soulagées.
Près de 20 % de la population adulte, ce qui représente 10 millions de personnes en France, souffrent de migraine. Il est possible de dresser un portrait-robot de la personne migraineuse. Il existe une nette prédominance féminine – environ 3 femmes pour 1 homme. Près de la moitié des femmes migraineuses ont entre 30 et 50 ans. De plus, 2,2 % de la population générale présenteraient des migraines survenant plus de 15 jours par mois depuis au moins trois mois, ce qui entre dans la définition des migraines chroniques. « Pour certains migraineux sévères, les crises font de leur quotidien un enfer, avec des douleurs parfois intenses, un handicap et une angoisse, explique Sabine Debremaeker, présidente de la Voix des Migraineux. Fin janvier 2023, nous avons débuté avec le Health Data Hub (l’organisme qui gère les données de santé en France, NDLR) un travail commun sur les données de santé des patients migraineux. Nous faisons notre maximum dans l’objectif que l’ensemble de la prise en charge soit amélioré, ainsi que notre condition dans la vie de tous les jours : travail, famille, relations sociales… La situation s’est améliorée mais pas suffisamment. Le peu de considération pour la migraine complique notre accès aux traitements, aux soins, aux aménagements au travail… La prise de conscience générale sur la réalité de notre maladie est lente. » À cette banalisation de la maladie s’ajoute un sous-diagnostic patent. D’après l’OMS, seuls 40 % des migraineux sont diagnostiqués. Or, l’institution déclarait en 2019, « la migraine est la seconde maladie la plus invalidante au monde. Et la première pour les femmes ».
Des nouveautés côté traitements
Autrefois parent pauvre de la médecine, la maladie migraineuse a vu arriver les premiers traitements spécifiques de la crise – les triptans – au milieu des années 2000. En dépit de l’arrivée de ces médicaments efficaces, une partie des individus migraineux chroniques sévères ne parvenait pas au soulagement. Mais des progrès récents dans la connaissance des mécanismes de la maladie ont abouti à de nouveaux traitements, très efficaces, d’ores et déjà disponibles ou sur le point de l’être. Pour cette raison, une actualisation des recommandations françaises pour traiter la migraine s’imposait. Celles-ci sont parues fin 2022* et en accès libre en février 2023, sous l’égide de la Société française d’études des migraines et céphalées, avec le concours de nombreuses sociétés savantes, sous la présidence du Pr Anne Ducros, neurologue au CHU de Montpellier. Elle s’explique : « Ces dernières années, on connaît mieux la complexité de la migraine. On sait désormais que la prédisposition génétique repose sur au moins 120 gènes qui contribuent à une susceptibilité aux crises de migraine. Ils codent pour de multiples mécanismes physiopathologiques, neuronaux, vasculaires, du métabolisme du fer, etc. » De plus, « un progrès décisif a été la compréhension du rôle crucial de la petite protéine CGRP dans la céphalée migraineuse, précise la neurologue. Ce neuromédiateur clé est libéré par le nerf trijumeau au moment de la migraine. Il est responsable de son activation et de la douleur. D’où la mise au point récente de nouveaux traitements de crise et de fond spécifiques en rapport avec ce peptide. On a aussi très récemment découvert que la migraine comporte plusieurs phases, et que chaque crise est “préparée” dans le cerveau par une phase très précoce, appelée prodrome, qui peut la précéder de 12 à 48 heures avant l’expression de la céphalée. Déjà, certains petits signes apparaissent, comme une augmentation de la sensibilité au bruit, à la lumière, une baisse de la concentration, une impression d’instabilité, une somnolence, une modification de l’appétit avec une fringale pour des aliments gras et sucrés. Lors du prodrome, on visualise (sur l’imagerie cérébrale fonctionnelle) l’activation de l’hypothalamus, une glande cérébrale, pendant cette phase, jusqu’à 48 heures. Ensuite, la phase céphalalgique à proprement parler dure entre une demi-journée à 3 jours, suivie d’une phase de régression (postdrome), où l’activité cérébrale revient à la normale. »
Grâce aux nouvelles molécules et aux nouvelles règles de prise de médicaments en cas de migraines légères et ponctuelles, le nombre de personnes migraineuses non soulagées recule. Mais une consigne demeure : les antalgiques de paliers 2 et 3 (morphine et substances apparentées, codéine, tramadol) ainsi que les associations médicamenteuses, sont à éviter en raison des risques de mésusage, d’abus et de surconsommation de médicaments.
Crise modérée à sévère, un triptan d’emblée
Si les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) comme l’ibuprofène ou le kétoprofène, mais aussi l’aspirine (qui diminue l’inflammation des vaisseaux des méninges) sont efficaces en cas de crises, ils ne soulagent pas tous les migraineux, ni les crises lorsque celles-ci sont modérées voire sévères. Dans le cas de crises sévères, il faut plutôt opter pour les traitements spécifiques de la crise : les triptans. À ce titre, les règles ont changé, précise le Dr Caroline Roos (Centre d’urgence des céphalées, Hôpital Lariboisière, Paris), « un AINS et un triptan doivent être prescrits sur la même ordonnance, avec la consigne de débuter par l’AINS si la céphalée est faible puis d’ajouter le triptan en cas de réponse insuffisante après une heure. C’est exactement l’inverse si la douleur est modérée à sévère : dans ce cas, il faut prendre le triptan d’emblée. Dans la migraine avec aura, l’AINS doit être pris au moment de l’aura et le triptan dès qu’apparaît la céphalée. » Avant de conclure à leur éventuelle inefficacité, les différents triptans doivent tous être essayés, les uns après les autres, chacun sur au moins trois crises et en prise précoce par rapport au mal de tête.
Les anti-CGRP, l’espoir contre la migraine rebelle
Pour décider d’un traitement de fond, dans l’optique de prévenir l’apparition des crises, il n’y a pas que la fréquence des crises qui compte (plus de 8 traitements de crises par mois depuis au moins 3 mois). En effet, leur sévérité est un nouveau paramètre déterminant, et ceci même si les crises ne sont qu’épisodiques. Pour les cas où les traitements de fond habituels (bêtabloquant/propanolol ; antiépileptique comme le topiramate ou le valproate, antidépresseur comme l’amitriptyline) sont incapables de réduire la fréquence des crises d’au moins 50 % (il s’agit du critère d’efficacité consensuel dans la migraine), les premiers traitements de fond spécifiques de la migraine, les anticorps monoclonaux anti-CGRP (CGRP pour peptide lié au gène de la calcitonine) ont fait leur entrée en 2021 : l’érénumab, le frémanézumab et le galcanezumab . Ils soulagent près de 80 % des migraineux sévères rebelles à tout traitement. De plus, 30 % d’entre-eux sont même des « super-répondeurs » avec une fréquence des crises réduite de 75 % et parfois même leur disparition totale. Les anticorps monoclonaux anti-CGRP s’administrent une fois par mois, voire une fois tous les trois mois (pour le frémanézumab), par injection sous-cutanée. Leur remboursement est un combat porté par les associations et la Société française d’études des migraines et céphalées. En ce premier semestre 2023, « la Voix des Migraineux reste mobilisée pour demander le remboursement des anti-CGRP en France », assure Sabine Debremaeker.
Du nouveau aussi en traitement de crise
Une nouvelle classe de médicaments – les ditans – pourrait prochainement prendre le relais, lorsque les triptans sont inefficaces ou mal tolérés, dont le lasmiditan (un agoniste des récepteurs à la sérotonine).
D’autres molécules à prendre en cas de crise sont sur le point d’arriver. Ce sont les gépants (par voie orale), dont l’ubrogépant et le rimégépant et d’autres en développement. À l’instar des anticorps anti-CGRP, ils bloquent la protéine CGRP mais avec un mécanisme différent. À noter, l’atogépant pris de manière continue peut également prévenir les crises (en traitement de fond). Il est espéré prochainement en France.
La toxine botulique A, à tenter
Utilisée de manière confidentielle, la toxine botulique A (Botox®) a enfin reçu une autorisation de mise sur le marché en mai 2021 dans la migraine chronique et à l’hôpital. Elle est prescrite après échec de deux traitements de fond et en alternative aux anticorps anti-CGRP. Le protocole, trimestriel, est bien codifié, avec 31 à 39 injections réparties dans 7 groupes musculaires de la face, du crâne et du cou.
L’électrostimulation se généralise
Des dispositifs de neuromodulation ont été conçus pour prévenir les crises de migraine, comme le système de neurostimulation électrique transcutanée (TENS). Il se présente sous la forme d’un bandeau à porter sur le front 20 minutes par jour afin de stimuler le nerf trijumeau à l’aide d’une électrode adhésive. Il a montré une efficacité chez certaines personnes avec une réduction de la fréquence des crises ou des traitements. La stimulation magnétique transcrânienne répétitive (SMTr), encore à l’étude, est aussi utilisée dans la migraine, en plusieurs séances dans certains centres spécialisés. Une impulsion magnétique est appliquée sur le cortex cérébral à travers le crâne de façon indolore afin de modifier l’activité des neurones.
Les techniques psychocorporelles, une place dans la migraine
Dans les hôpitaux, et inscrits dans les nouvelles recommandations des experts, la relaxation, la méditation de pleine conscience, le rétrocontrôle biologique (thérapie fondée sur le contrôle des émotions et des pensées) ainsi que la thérapie cognitivo-comportementale sont reconnues dans le soulagement des personnes migraineuses. « Il semblerait que la méditation de pleine conscience soit aussi bénéfique en cas de migraine, indique le Pr Anne Ducros, surtout vis-à-vis du handicap lié aux crises et à la qualité de vie. Ces techniques agissent sur le stress et l’anxiété induits par les migraines. Pour tous les migraineux sévèrement affectés, ces approches peuvent améliorer leurs migraines, mais surtout à condition de les pratiquer régulièrement et de manière autonome. »
À noter, on sait désormais que l’éviction trop stricte des événements déclenchants de la migraine (lumière, bruit, odeurs…) qui a longtemps été préconisée est contre-productive car cela risque au contraire d’accroître l’hypersensibilité à ces facteurs. Il vaut mieux s’exposer un peu, par exemple en portant des verres teintés au soleil… « On sait aussi que les facteurs déclenchants alimentaires sont bien moins importants que ce que l’on croyait, ajoute le Pr Ducros. Il existe bien des troubles digestifs au cours des crises mais il n’y a pas de régimes spéciaux associés à une réduction des migraines. Pour sa part, l’alcool déclenche des crises de manière assez systématique. »
* Donnet A, Demarquay G, Ducros A. « Recommandations 2021 pour le diagnostic et la prise en charge de la migraine chez l’adulte : traitement des crises », Presse Med Form 2022; 3: 404–411.
Pour en savoir plus :
Ducros A, Donnet A, Demarquay G. « Recommandations pour le diagnostic et la prise en charge de la migraine chez l’adulte : situations spécifiques chez les femmes migraineuses », Presse Med Form 2022; 3: 421–426.
Qu’est-ce que la migraine ?
Dans la migraine, les crises se manifestent par des maux de tête (céphalées), plus ou moins associés à d’autres symptômes, parfois précédés de signes neurologiques essentiellement visuels (perte de la vision ou vision trouble, points lumineux ou formes géométriques) transitoires. La céphalée migraineuse, modérée à sévère, évolue par crises qui durent de quelques heures à quelques jours, affectant le plus souvent la moitié de la tête (unilatérale), avec l’impression que « le cœur bat dans la tête » (pulsatile), aggravée par des efforts quotidiens (montée des escaliers). Elle peut s’accompagner de nausées, de vomissements ou d’une sensibilité accrue aux bruits et à la lumière.
Le risque cardiovasculaire accru lié à la migraine est réel mais difficile à quantifier. De plus, 30 % des patients migraineux peuvent ressentir des auras. Ces symptômes neurologiques qui surviennent avant le mal à la tête se développent progressivement sur cinq minutes ou plus, et durent en moyenne vingt à trente minutes. Les auras visuelles (taches, lignes, points lumineux, vision floue…) sont les plus fréquentes, devant les auras sensitives (fourmillements…) et aphasiques (incapacité à trouver des mots). Le tabac est à éviter absolument ainsi que la contraception œstroprogestative dans le cas des auras. Car chez les femmes, la migraine avec aura représente le 4e facteur de risque cardiovasculaire (accident vasculaire cérébral ou cardiaque) après le tabagisme, l’hypertension artérielle, le diabète, mais devant l’excès de cholestérol, l’élévation des triglycérides et le surpoids.
Témoignage de Sophie D (Paris)
Sophie est migraineuse depuis l’enfance. À 62 ans, elle est en congé longue maladie depuis quatre ans, car sa migraine résiste à tous les traitements de fond disponibles. Vie familiale, carrière professionnelle… son cas est l’illustration des dégâts que peut causer la maladie. « La migraine m’interdit toute activité physique, les relations sociales et toute soirée ou voyage. Chaque médicament, chaque technique, jusqu’aux plus innovantes et confidentielles, je les ai testés. Mais je fais partie de ce tiers des patients migraineux chroniques sévères dits « difficiles à traiter » suivis en CHU. Les crises de migraine ne me laissent aucun répit et sont presque quotidiennes avec plusieurs épisodes très invalidants par mois. Lorsque rien n’y fait, je m’isole dans le noir. Lorsque les crises ne provoquent pas de vomissements, la maladie est invisible. » Elle pratique les thérapies complémentaires (méditation pleine conscience, cohérence cardiaque) pour retarder les crises, et élabore des stratégies comportementales (moments de calme suivant la prise d’un antalgique…). Les anticorps anti-CGRP ont fait renaître chez elle l’espoir d’un soulagement, même partiel.
Migraine, et si ça venait des médicaments ?
Environ 1 à 2 % des migraineux de plus de 15 ans ont une céphalée chronique quotidienne par abus d’antalgiques. Il ne faut pas dépasser 15 jours de traitement par mois pour les antalgiques non opioïdes (paracétamol, aspirine, AINS) et 10 jours pour les autres traitements de crise (opioïdes, ergotés, triptans) et ceci pendant plus de trois mois pour éviter le risque de céphalées induites par une surconsommation médicamenteuse. Chez certains migraineux, en cas de céphalées chroniques quotidiennes par abus médicamenteux qui peut, à l’inverse, entretenir un état migraineux, le sevrage, au moins relatif, est conseillé, et un traitement de fond doit être débuté d’emblée. On sait désormais que le tabagisme et le manque d’activité physique font plus que doubler le risque de migraine par abus médicamenteux.