Le premier confinement a obligé les équipes de recherche à modifier leurs habitudes et à dématérialiser les essais cliniques réalisés de plus en plus à distance. Une proposition de loi a été déposée dans ce sens. Est-ce une évolution souhaitable ? Les réponses d’Ariane Galaup Paci, directrice de la recherche clinique du Leem (Les Entreprises du médicament).
Selon l’étude « Essais cliniques 2030 », réalisée par le Leem (Les Entreprises du médicament), 40 % des essais cliniques sont désormais hybrides et comprennent au moins une étape digitalisée contre 10 % avant la crise sanitaire. Cette décentralisation repose sur la télémédecine, le e-consentement, la dispensation des traitements et le suivi à domicile. Preuve de cette évolution, le Sénat a adopté en février dernier en première lecture une proposition de loi portée par la présidente de la commission des Affaires sociales, Catherine Deroche, qui propose de faciliter la réalisation d’essais cliniques au domicile des patients.
Quels avantages à décentraliser les essais cliniques ?
« Au-delà des impératifs liés à la crise sanitaire et à l’éloignement géographique des patients, cette décentralisation peut être intéressante car les essais cliniques de certaines pathologies comme les cancers ou les maladies rares sont longs et la phase de suivi après le traitement assez contraignante car le patient doit se rendre très régulièrement à l’hôpital », explique Ariane Galaup Paci, directrice de la recherche clinique du Leem. « L’une des difficultés d’une étude clinique est l’étape d’inclusion c’est-à-dire la participation du patient. Tout ce qui va faciliter et améliorer cette expérience est donc en faveur de son adhésion. Hybride, l’essai clinique n’est plus centré autour de l’hôpital mais du patient et est basé soit sur l’utilisation d’outils digitaux, soit sur de nouveaux circuits de recherche permettant à l’équipe soignante d’aller vers le domicile du patient ».
L’apport du digital se manifeste lors des différentes étapes des essais cliniques. « Un site internet ou une plateforme permet d’informer le grand public concernant les essais cliniques et peut donc aider au recrutement. Lors de l’essai clinique, l’étape d’information du patient dans le but de recueillir son consentement est facilitée par l’utilisation d’une tablette de vidéo permettant d’expliquer le protocole et les réglementations. Enfin, lors de la phase de traitement, au lieu de se rendre à l’hôpital, les patients qui participent à un essai clinique hybride peuvent recevoir le traitement à domicile », détaille Ariane Galaup Paci.
Enfin, la phase de suivi peut être facilitée par les visites d’une infirmière de recherche à domicile, des outils numériques de mesures ou des téléconsultations avec les médecins investigateurs de l’hôpital.
Des freins liés à la fracture numérique
Pour autant tous les essais cliniques ont-ils vocation à être décentralisés ? « Les trois enjeux clés sont la sécurité du patient, l’éthique et la qualité de la recherche générée. Cette dématérialisation doit se faire au bénéfice du patient et ne pas générer une perte de l’interaction avec l’équipe médicale. D’autre part, elle peut poser problème en cas de difficultés liées à la fracture numérique. Les modèles doivent être des essais cliniques hybrides qui associent un modèle classique et les nouveaux outils numériques en permettant à chaque étape de la vie d’un essai clinique d’intégrer ces nouvelles modalités », conclut Ariane Galaup Paci.
Le visage des futurs essais cliniques
« Les premières étapes de la recherche clinique qui évaluent, par exemple, une thérapie génique ne peuvent évidemment pas se faire à domicile. Mais, à l’avenir, certains protocoles plus simples pourront être faits entièrement à distance. Parallèlement, d’autres aspects de la recherche clinique évoluent comme la méthodologie. La frontière entre l’essai clinique et le passage dans le parcours de soin est destinée à se flouter grâce à l’utilisation des données de vie réelles. Enfin, le dernier type de grand changement concerne les technologies de santé évaluées. Jusqu’à présent, le médicament était évalué d’un côté, le dispositif médical et les actes médicaux de l’autre. À l’avenir, les solutions thérapeutiques seront hybrides avec un médicament qui sera associé à un dispositif médical à et une solution digitale », explique Ariane Galaup Paci.