Médecin généraliste et maire adjoint de Strasbourg chargé de la santé publique et environnementale, Alexandre Feltz est à l’origine de la création du sport santé, c’est-à-dire la prescription d’activité physique sur ordonnance. Il nous explique pourquoi ce dispositif a toute sa place dans une société qui s’apprête à vivre avec le virus de la Covid-19.
Qu’est-ce que le sport santé sur ordonnance ?
C’est la prescription d’activité physique sur ordonnance en prévention ou en soin des maladies chroniques, comme les maladies cardiovasculaires, l’hypertension ou le diabète. Évidemment, il ne s’agit pas de sport intensif : cela concerne toutes les activités physiques et sportives légères à modérées, mais aussi les modes de déplacement actifs, comme la marche ou le vélo. Pratiquer ces activités environ 30 minutes cinq fois par semaine, comme le préconise l’OMS, nous permet de rester en mouvement et en bonne santé. Il est donc absolument indispensable de réduire la sédentarité et d’augmenter l’activité physique. C’est ce que nous avons voulu faire en lançant le sport santé sur ordonnance à Strasbourg en 2012. Depuis, de nombreuses villes nous ont rejoints. Je coordonne actuellement le réseau national des Villes-santé de l’OMS, qui réunit désormais à peu près 70 villes. Près de 35 ont développé cette initiative dans leur territoire.
Concrètement, comment ça marche ?
Le dispositif repose sur le médecin généraliste. C’est lui qui prescrit et met en contact le patient avec un des éducateurs sport santé du réseau. Ce dernier met ensuite en place, à l’issue d’un entretien motivationnel, un programme d’activité adapté à l’état de santé et aux capacités physiques du patient. Cet entretien est essentiel : c’est là qu’on explique au patient que se mettre en mouvement va faire baisser sa glycémie et sa tension artérielle, va améliorer son souffle, sa force, son énergie. L’activité physique agit donc comme un médicament.
Ce dispositif est-il pris en charge par l’Assurance maladie ?
Non, le sport sur ordonnance n’est pas encore financé au niveau national, et c’est bien là tout l’enjeu : généraliser le dispositif et le financer sur l’ensemble du territoire le rendrait accessible à tous et permettrait ainsi de lutter contre les inégalités de santé, parce que les populations qui souffrent le plus de la sédentarité sont aussi les plus précaires. Je rappelle qu’il existe une loi en France depuis 2017 : elle dit que tous les médecins traitants peuvent prescrire de l’activité physique aux personnes en affection longue durée. Malgré ça, il n’y a toujours pas de prise en charge nationale, qui pourrait avoir la forme d’un forfait de 100 euros par bénéficiaire et par an. Il faut bien comprendre que l’activité physique est un gain pour le patient mais aussi pour la société. Rien qu’en favorisant l’usage du vélo, la Sécurité sociale économiserait 21 millions d’euros chaque année. Lors de l’épidémie de la Covid-19, des initiatives ont été prises pour renforcer la promotion du vélo, notamment en créant des aménagements cyclables temporaires, mais ce n’est pas suffisant.
Justement, que peut apporter l’activité physique dans une société qui se prépare à vivre à plus ou moins long terme avec le coronavirus ?
Sa place est fondamentale. Le vélo est par exemple un mode de déplacement actif idéal en temps de Covid. Cependant, j’ai été très surpris que l’on veuille imposer le masque pendant la pratique du vélo. Heureusement, le Conseil d’État a cassé les arrêtés qui allaient dans ce sens. Plus qu’un moyen de transport, le vélo est avant tout l’occasion de faire de l’activité physique. Il développe le souffle, les capacités respiratoires et cardiaques. Et on sait que les personnes qui font des formes graves de Covid sont surtout celles qui ont des maladies chroniques. Par exemple, l’obésité et le surpoids sont reconnus comme des facteurs de risque importants de faire un Covid grave. La marche – comme le vélo – est un mode de déplacement actif très bon pour la santé. Faire de la marche active soutenue, à la limite de l’essoufflement, est très sport santé. Et c’est, pour certaines personnes qui n’ont pas la capacité de courir, la seule façon de pratiquer une activité physique. Je suis à nouveau surpris que des arrêtés imposent le masque pour les piétons 24h/24 et 7j/7 sur l’ensemble d’une grande ville, rendant cette activité sport santé très difficile pour certains patients.
Au-delà de la prévention, on sait aussi que l’activité physique est nécessaire pour les patients qui on fait des formes sévères de Covid-19…
Oui. Après une hospitalisation en service conventionnel ou en réanimation, ces patients, qui peuvent avoir des séquelles, ont besoin de reprendre une activité physique progressive et modérée. Dans les semaines qui viennent, ces patients pourront avoir accès au dispositif municipal de sport santé, et donc bénéficier d’une ordonnance de leur médecin généraliste pour un accompagnement à la reprise de l’activité physique. Être un malade Covid stabilisé mais ayant des séquelles deviendra donc un critère d’accès au sport santé au même titre qu’être atteint d’une maladie chronique.