L’intelligence artificielle (IA) a fait irruption dans le débat public ces derniers mois. Qu’elle inquiète ou qu’elle fascine, elle est aujourd’hui de plus en plus présente. Et dans le domaine de la santé, son potentiel intéresse les chercheurs comme les professionnels de santé. Aide au diagnostic, au suivi des patients, à la prédiction… l’IA est un outil avec de nombreux points forts mais aussi avec certaines limites.
Qu’est-ce que l’IA ?
L’expression « intelligence artificielle » est aujourd’hui passée dans le langage courant, et pourtant, il demeure difficile d’en donner une définition précise. L’IA désigne à la fois des systèmes informatiques existants capables de réaliser des tâches complexes, mais aussi des systèmes autonomes qui auraient une forme de « conscience » et qui ne sont pour l’heure que pure fiction. Et cette confusion contribue à créer de la crainte. Or, dans le domaine de la santé par exemple, les spécialistes sont unanimes : l’IA n’est pas près de remplacer le médecin.
L’IA appliquée à la médecine ne date pas d’hier. « C’est un champ d’étude qui a été étudié dès les années 1960, confirme Michel Dojat, directeur de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) au Grenoble institut neurosciences. Au début, les premiers “systèmes experts” se sont appuyés sur la modélisation des connaissances médicales et des raisonnements des spécialistes pour aboutir à un diagnostic. Plus récemment, ce sont les techniques d’apprentissage machine (machine learning) qui se sont développées grâce aux grandes quantités de données que nous avons accumulées avec l’informatisation (big data) et à l’augmentation de la puissance des ordinateurs. Ces IA qui fonctionnent avec des réseaux de neurones de grande taille sont capables d’analyser statistiquement de grandes quantités de données pour extraire directement les informations utiles à la résolution d’une tâche donnée (deep learning). » Elles permettent par exemple de repérer des mélanomes sur des biopsies cutanées ou de quantifier des lésions liées à une sclérose en plaques sur une IRM cérébrale.
Six domaines d’application
- L’aide à la décision (pour poser un diagnostic ou choisir la meilleure approche thérapeutique).
- La médecine prédictive (pour prédire l’apparition d’une pathologie ou son évolution).
- La prévention (pour améliorer la surveillance des effets secondaires d’un médicament ou pour anticiper une épidémie).
- La médecine de précision (pour personnaliser un protocole de soins pour un patient donné).
- La chirurgie assistée (pour aider le chirurgien à pratiquer une opération).
- Les robots compagnons (pour accompagner les personnes âgées, handicapées ou fragiles).
Les perspectives de l’IA en santé
La recherche actuelle sur l’IA appliquée à la santé vise à la fois à améliorer les performances techniques des systèmes et également à optimiser leur adéquation avec les pratiques médicales car l’IA demeure un outil au service des professionnels de santé. Pour Michel Dojat, l’une des pistes prometteuses est la combinaison de l’analyse de l’image et du texte : « Une IA qui sera capable d’intégrer les informations issues de l’imagerie médicale et des comptes rendus rédigés par les professionnels de santé permettra de comparer les trajectoires de patients afin d’améliorer les protocoles de soins ». Autre enjeu d’avenir : faire en sorte que l’IA explique ses choix. « Il faudrait avoir un pourcentage de certitude face à la réponse donnée par l’IA et avoir les informations nécessaires pour savoir pourquoi elle en est arrivée à cette conclusion », estime-t-il. Un avis partagé par Gabrielle Chenais, chercheuse en santé publique au Bordeaux health research center et spécialiste de data science, pour qui « la transparence et l’explicabilité sont deux exigences qui deviennent incontournables ».
Guider la conception et l’utilisation de l’IA
Face au recours croissant à l’intelligence artificielle dans le domaine de la santé, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) s’est saisie du sujet et a publié un rapport en juin 2021. Pour « atténuer les risques et de maximiser les opportunités » et « garantir que le plein potentiel de l’IA en matière de soins de santé et de santé publique sera mis au service du bien de tous », elle a mis en avant six principes : protéger l’autonomie de l’être humain ; promouvoir le bien-être et la sécurité des personnes ainsi que l’intérêt public ; garantir la transparence, la clarté et l’intelligibilité ; encourager la responsabilité et l’obligation de rendre des comptes ; garantir l’inclusion et l’équité ; promouvoir une IA réactive et durable.
Des points de vigilance demeurent
L’utilisation de l’IA entraîne son lot de questions dont celle de la responsabilité en cas d’erreur. Que se passe-t-il si l’IA se trompe et que le professionnel de santé suit tout de même sa recommandation ? Actuellement, la législation ne donne pas de réponse. Toutefois, les spécialistes de l’IA la considèrent comme un outil au service des professionnels de santé et non comme un système autonome. « C’est bien le médecin qui décide, c’est lui qui pose le diagnostic et propose le traitement », confirme Michel Dojat. « Il ne faut pas aller vers une soumission à l’outil », prévient de son côté Gabrielle Chenais.
La chercheuse soulève par ailleurs une autre question : celle des biais liés au genre ou à l’origine par exemple qui peuvent influer sur les résultats de l’IA et engendrer des discriminations. « Il faut y prêter une attention particulière dès la conception en intégrant toutes les parties prenantes », considère-t-elle. D’où l’importance aussi de former les professionnels de santé à l’utilisation de l’IA et de bien les informer sur ses possibilités et sur ses limites.
Quant au fait de savoir si l’IA va permettre aux médecins de consacrer plus de temps à leurs patients, Michel Dojat estime que « c’est aux citoyens de le décider » avant de préciser : « Est-ce que l’on choisit de diminuer le nombre de médecins ou d’utiliser le temps gagné en faveur de l’interaction avec le patient ou des activités de recherche médicale ? C’est un choix de société que nous devrons faire collectivement. »
Un exemple : l’IA pour améliorer de la surveillance des traumatismes
Mené par des chercheurs de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et de l’université de Bordeaux, le projet Tarpon (pour traitement automatique des résumés de passages aux urgences dans le but de créer un observatoire national) utilise l’IA pour mieux connaître les traumatismes, leurs origines et ainsi mieux les prévenir. Explications de Gabrielle Chenais, chercheuse au Bordeaux health research center.
D’où provient l’idée de ce projet ?
Gabrielle Chenais. Nous sommes partis d’un constat : la prévention des traumatismes en France est lacunaire. Nous disposons de peu de statistiques sur ce sujet. Pour les violences conjugales, les données sont issues des dépôts de plaintes, et pour les accidents de la voie publique, elles proviennent des rapports de police donc seule une fraction du phénomène qui est visible. Or, nous savons qu’une grande partie des victimes de traumatismes se rendent aux urgences et que pour chaque visite les soignants rédigent un compte rendu. C’est une mine d’informations encore inexploitée sur les symptômes du patient et sur les circonstances de l’accident.
Comment avez-vous procédé ?
G. C. La difficulté que nous avons rencontrée est que les comptes rendus sont rédigés de manière non structurée, avec des abréviations et du jargon médical ou local. Nous avons donc adapté le modèle de GPT2 – un LLM, ou large modèle de langage en français – et nous l’avons entraîné avec un échantillon de plus de 500 000 comptes rendus anonymisés issus des urgences du CHU de Bordeaux pour le rendre plus performant. Cette méthode nous a permis de classer correctement 97 % des documents.
Quelles sont les prochaines étapes de développement ?
G. C. Notre objectif est de généraliser son utilisation. Nous travaillons avec 18 services d’urgences en France pour adapter l’IA aux différentes spécificités locales. Nous avons également établi un partenariat avec le système national des données de santé (SNDS), via le Health data hub, afin d’avoir accès aux données de remboursement, toujours de manière anonymisée, dans le but de croiser les données afin de savoir s’il existe un lien entre traumatisme et prise de médicaments, chez quel type de population et dans quelle proportion.