Facile d’accès car en vente libre, le protoxyde d’azote, ou « gaz hilarant », est parfois détourné de son usage premier par des collégiens, lycéens, étudiants ou jeunes adultes, qui l’inhalent pour ses effets psychoactifs. Ils en font une consommation effrénée mais non dénuée de risques.
Stocké dans des cartouches vendues dans les commerces de proximité et sur internet pour être utilisé comme gaz propulseur dans les siphons à chantilly, le protoxyde d’azote est facile d’accès et peu cher. Celui que l’on nomme aussi « gaz hilarant », en raison de ses effets euphorisants et des rires incontrôlés qu’il provoque, est détourné de son usage initial par de nombreux jeunes, qui l’inhalent après avoir « cracké » la cartouche pour l’ouvrir et fait passer le gaz dans un ballon de baudruche. Tutos sur internet, « bars à proto » dans certaines boîtes de nuit, caniveaux jonchés de ces petites capsules… La pratique s’est banalisée et les ventes ne cessent d’augmenter. « L’utilisation de cette substance est largement répandue depuis un certain nombre d’années », confirme Gilles Defer, professeur de neurologie au CHU de Caen et vice-président de la Fédération française de neurologie (FFN).
Gaz hilarant : une pratique à risque
Depuis longtemps, les médecins alertent les autorités sanitaires sur cet usage détourné, car les effets nocifs potentiels du « proto » sont nombreux : vertiges, hallucinations ou perte de connaissance, mais aussi troubles digestifs, cardio-respiratoires ou neurologiques, explique la Mission ministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), qui fait état de plusieurs dizaines de cas graves au cours des dernières années. « Sa neuro toxicité était connue dès les années 50, et déjà bien documentée il y a 20 ans dans le cadre d’une utilisation médicale lors des anesthésies générales et locales chez les dentistes. Mais dans ces capsules vendues dans le commerce, le gaz est pur, donc beaucoup plus toxique. Même si les hospitalisations sont rares, le principal risque neurologique est une atteinte de la moelle épinière (myélopathie), en particulier une atteinte des voies sensitives, qui heureusement peut être réversible si elle est détectée tôt et si la consommation est interrompue », souligne le professeur Defer, qui précise : « Cette atteinte médullaire s’explique par un blocage des effets physiologiques de la vitamine B12 par le produit. » Gilles Defer conseille donc « d’y penser en cas de tableau aigu d’atteinte médullaire chez un sujet jeune en interrogeant ce dernier sur une éventuelle consommation de protoxyde d’azote ». Pour finir, outre des risques de réactions chimiques explosives, ce gaz étant très froid, son inhalation peut aussi occasionner des lésions au niveau du nez et des lèvres.
Une ivresse fugace qui pousse à la consommation
L’effet euphorisant et psychotrope est bref, alors les jeunes renouvellent plusieurs fois de suite l’expérience. « Certaines consommations sont astronomiques, constate le neurologue. Une étude anglaise de 2018 relevait chez des personnes atteintes de myélopathie une consommation allant de 100 à 1 000 capsules par semaine. » En France, plusieurs rapports publiés par les centres d’évaluation et d’information sur la pharmacodépendance-addictovigilance (CEIP-A) ont amené l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) à publier en 2019 un communiqué officiel faisant état d’une montée en flèche de la consommation de protoxyde d’azote à usage « récréatif ». Cette utilisation de gaz hilarant à des fins de toxicomanie par la jeunesse était jusque-là complètement ignorée des parents. Depuis deux ou trois ans, l’ampleur de ce phénomène, largement relayé dans les médias et par les agences sanitaires, a permis une prise de conscience de l’opinion publique et des politiques, qui se sont emparés du problème (voir encadré). Les campagnes de prévention des toxicomanies aborderont bientôt, dans les collèges, un volet consacré au « proto ». Il était temps !
Une loi pour protéger les jeunes
Les députés ont voté à l’unanimité, le 25 mai 2021, une loi interdisant « de vendre ou d’offrir à un mineur du protoxyde d’azote, quel qu’en soit le conditionnement ». Par ailleurs, la vente de « proto » est désormais interdite à toute personne (mineure ou pas) dans les débits de boissons et de tabac. Le texte est clair. Concrètement, tout commerçant devra s’assurer que l’acheteur est bien majeur, sous peine d’amende. Mais quid de la vente sur internet ? Bien que la loi contraigne les sites à mentionner l’interdiction de la vente aux mineurs, le « proto » y restera libre d’accès à toute personne, majeure ou pas.