Hélène Rossinot est médecin de santé publique et de médecine sociale. Experte reconnue sur la question des aidants, elle intervient régulièrement auprès d’entreprises, de collectivités et d’associations. Elle est aussi l’auteure d’Aidants, ces invisibles (2019), récompensé par l’Académie de médecine en 2020, d’Être présent pour ses parents (2020) et de Ma Famille, mon job et moi (2023). Elle sortira, en octobre 2024, un nouvel ouvrage.
France Mutualité. Comment vous êtes-vous intéressée à la question des aidants ?
Hélène Rossinot. Quand j’étais interne en médecine, j’ai fait un stage en hospitalisation à domicile. J’accompagnais une infirmière et, pendant qu’elle était avec les patients, je discutais avec leurs proches. J’ai très vite compris que même si les patients étaient extrêmement différents (du soin palliatif à la blessure post-accident de la route), les proches, eux, étaient toujours présents. Et d’ailleurs, ces derniers étaient tous étonnés qu’un médecin leur parle. Cela a attiré mon attention.
Quand j’ai revu mon chef, je lui ai fait part de mes réflexions. C’est là qu’il m’a dit qu’on les appelait ces proches des aidants. C’est la première fois que j’entendais ce terme ! Il n’y avait que très peu d’études scientifiques sur le sujet alors j’ai décidé d’en faire mon mémoire de Master 2. Puis, j’ai continué avec ma thèse.
J’ai aussi commencé à en parler sur les réseaux sociaux. Les associations ont vu que le sujet m’intéresserait et elles m’ont contacté. J’ai ainsi rencontré des personnes qui étaient complètement invisibles aux yeux de la société et qui, pourtant, ne déméritaient pas. C’est comme cela que mon tout premier livre est né.
F. M. Vous expliquez qu’un grand nombre de personnes ignorent qu’elles sont aidantes. Pourquoi ?
H.R. Il y a en effet des personnes qui ne connaissent pas le mot « aidant » et il y en a d’autres qui se disent que ce qu’elles font est normal, qu’il n’est pas nécessaire d’y mettre un nom voire qui ne l’acceptent pas. Il est difficile de mettre en place des projets à destination d’une population dont la moitié ignore qu’elle est la cible et environ un quart refuse de se considérer comme telle. C’est pour cela qu’il faut vraiment faire de la pédagogie pour accompagner les aidants, et pour changer le regard des non-aidants.
Il y a aussi un problème avec la définition même du terme aidant. Le ministère de la Santé indique qu’il s’agit d’une personne qui aide régulièrement un de ses proches, âgé, malade ou handicapé. C’est la bonne définition. Mais si vous regardez la loi, il y a une définition pour les aidants qui aident un parent vieillissant, une autre pour ceux qui aident un proche en situation de handicap mais aucune pour ceux qui aident un proche malade. Le mot « malade » n’apparaît nulle part. Je conçois qu’il soit très difficile à définir dans la loi et que ce soit un problème juridique. Mais il faut s’atteler à le résoudre. La Haute Autorité de santé reconnaît elle-même, dans sa recommandation du 25 juin 2024, qu’il y a un trou dans la loi.
F. M. Que pensez-vous des évolutions qui ont eu lieu ces dernières années ?
H.R. Ce sont des premiers pas prometteurs qui en appellent bien d’autres. Le congé de proche aidant par exemple a le mérite d’exister mais il est très peu adapté à la vie des aidants et ce, malgré les modifications qui devraient intervenir en janvier 2025. À l’heure actuelle, il y a d’un côté le congé, d’une durée de trois mois sur toute la carrière du salarié, qui peut être renouvelé jusqu’à un an – c’est peu –, et de l’autre l’indemnité, qui est très basse et qui ne couvre que les trois premiers mois. La plupart des aidants ne peuvent donc pas se permettre de prendre ce congé. Il y a encore des progrès à faire.
Le Plan aidants de 2019 était très bien. Il y avait une véritable volonté mais il a été balayé par le Covid-19. Depuis, la question des aidants ne bénéficie pas d’autant d’attention, ni d’assez de moyens au niveau national, comme au niveau local où les départements ont un rôle à jouer. Ceux-ci pourraient mener une véritable politique territoriale vis-à-vis des aidants mais, pour le moment, ce n’est pas le cas.
Les établissements de santé, eux aussi, peuvent agir. Le centre de cancérologie Léon-Bérard, à Lyon, est un exemple à suivre. Il a mis en place un parcours de l’aidant, du moment du diagnostic jusqu’à la guérison. Il propose des consultations spécifiques à l’aidant, une évaluation de ses besoins et une orientation vers des ressources internes ou externes.
F. M. Les nouveaux professionnels de santé sont-ils mieux formés à la question des aidants ?
H.R. Pas vraiment, et c’est très inégal. Il existe des métiers de la santé ou du médico-social où il n’y a absolument aucune mention du sujet. Il y a donc encore du travail. Il faut sensibiliser au sujet mais aussi donner des clés pour savoir quoi faire, comment accompagner, que dire ou ne pas dire.
Quand on est médecin et que l’on a une consultation de 10 ou 15 minutes avec d’autres motifs à traiter, c’est compliqué. Être capable de repérer, d’identifier l’aidant et de faire une évaluation, cela s’apprend. Mais le premier réflexe à avoir est de chercher l’aidant, derrière l’enfant handicapé, l’adulte malade ou la personne âgée que l’on reçoit.
Et quand un aidant vient vous voir parce qu’il est fatigué, anxieux ou qu’il dort mal, il faut l’écouter, et pas juste s’occuper du symptôme et lui dire que ça va passer. Quand un aidant en arrive à demander de l’aide, c’est bien souvent qu’il est déjà épuisé.
F. M. Votre dernier livre traite de la vie professionnelle des aidants. Est-ce que les entreprises prennent suffisamment en compte leur situation ?
H.R. Je travaille avec beaucoup d’entreprises et les directeurs des ressources humaines (DRH) me disent qu’ils voient très peu d’aidants. Or, quasiment 25 % des salariés en France sont aidants, public et privé confondu. Il y en a donc forcément dans les entreprises. Pour beaucoup de DRH, les aidants veulent tous des aménagements du temps de travail, mais c’est un préjugé. Pour certains, des aménagements sont salvateurs, parce qu’ils ne tiennent plus, mais pour d’autres la prévention, l’accompagnement et la bienveillance suffisent. En entreprise aussi, il faut changer le regard sur les aidants pour leur permettre de parler plus aisément de leur situation au travail.
F. M. Vous dites aussi que les entreprises doivent se rendre compte de la richesse des salariés-aidants.
H.R. Oui. Au lieu de regarder les aidants de manière négative, il faut se rendre compte des qualités importantes qu’ils ont et les valoriser. On appelle cela des soft skills. Ils ont par exemple une expérience en management quand ils coordonnent l’équipe de soins à domicile qui s’occupe de leur proche. Ils peuvent gérer les plannings, les vacances, les remplacements et la communication entre les différents intervenants. Les aidants sont aussi des champions des dossiers administratifs. Ils tiennent les deadlines. Ils savent écouter, ils sont empathiques. Enfin, ils sont flexibles, s’adaptent aux situations qu’ils rencontrent et, très souvent, extrêmement persistants. Pour un employeur, ce sont des atouts. Tous les salariés ne sont pas capables de faire tout cela et, petit à petit, le monde du travail en prend conscience.
F. M. Quelles sont, selon vous, les mesures prioritaires à mener en faveur des aidants ?
H.R. Les aidants sont une source de richesse pour notre société. Il faut donc commencer par changer notre regard. C’est la première des priorités. Ensuite, au niveau des entreprises, il y a un gros travail de sensibilisation en interne à mener. Former les professionnels de la santé et du social est tout aussi capital. Ces derniers sont en effet des interlocuteurs de premier ordre.
Il faudrait par ailleurs mettre du sens dans nos lois, nos aides et nos politiques publiques pour améliorer le congé de proche aidant ou de droit au répit notamment. Nous ne pouvons pas nous contenter de mesurettes. Nous devons réfléchir de manière plus globale.
Et, enfin, il faut aussi sensibiliser l’Éducation nationale car la question des jeunes aidants n’est pas du tout prise en compte. Pourtant, entre 500 000 et 1 million de mineurs s’occupent d’un frère handicapé, d’un parent malade ou encore d’un grand-parent dépendant en France. Il ne faut pas les oublier !
Léa Vandeputte