Nous sommes aujourd’hui la première génération à avoir les connaissances nécessaires pour intervenir concrètement sur notre espérance de vie en bonne santé grâce aux sciences. C’est ce que nous explique le Dr Christophe de Jaeger, docteur en médecine, physiologiste et gérontologue. Il est l’un des spécialistes de la sénescence humaine et le président de la Société française de médecine et physiologie de la longévité (SFMPL).
France Mutualité. Quelles sont nos nouvelles connaissances sur le vieillissement ?
Dr de Jaeger. En réalité, nous connaissons déjà les grands mécanismes de la sénescence (vieillissement) que ce soient ceux de la glycation (phénomène chimique contribuant largement au vieillissement cellulaire et conduisant à divers troubles comme les maladies cardiovasculaires et le diabète), du stress oxydant (la production de radicaux libres augmente au cours du vieillissement et l’efficacité des systèmes de réparation des dommages diminue, ce qui crée de multiples lésions) ou encore neuro-endocrinien (la sécrétion de nombreuses hormones est modifiée avec l’âge). En revanche, nous devenons plus précis dans la connaissance de ces mécanismes. Par exemple, nous connaissons de mieux en mieux l’effet du raccourcissement des télomères (extrémités des chromosomes) et ses conséquences physiopathologiques. Ils raccourcissent au fil des réplications des chromosomes au cours du cycle cellulaire, jusqu’à atteindre une longueur trop courte, déclenchant la sénescence de la cellule ou sa transformation en cellule cancéreuse. Il existe aussi de nouvelles pistes de recherche en matière de longévité mais qui sont à la marge, par exemple celles sur les sénolytiques (substances pharmacologiques ayant la capacité de faire disparaître les cellules sénescentes, telle que la quercétine). Mais bien d’autres sénolytiques décrits comme très efficaces sont des médicaments avec d’importants effets secondaires. Ces découvertes ne sont pas encore applicables, méfions-nous des raccourcis inadaptés. Rajeunir avec des pilules magiques n’est pas possible aujourd’hui. Les grandes réalités du vieillissement sont là et elles s’imposent à nous. Cependant, il est possible d’intervenir sur son vieillissement.
F.M. Les progrès de la médecine régénérative vont-ils nous permettre d’inverser bientôt le vieillissement ?
Dr de Jaeger. Les cellules souches restent une piste d’avenir. Il existe de nombreux travaux de recherche passionnants sur les cellules souches mais qui sont non applicables en l’état à l’homme. Il n’est pas envisageable à mon sens, d’un point de vue éthique, d’injecter des cellules souches avec un ADN modifié pour les rajeunir car on ne sait quelles peuvent être les conséquences sur la santé. En outre, l’injection de cellules souches cultivées ne va pas forcément réparer les organes là où c’est nécessaire, par exemple permettre de refaire un myocarde sain après un infarctus. Aujourd’hui, les cellules souches ne permettent pas d’améliorer son capital santé.
F.M. Notre âge n’est pas que chronologique. Pourquoi est-il plus juste de parler de nos âges ?
Dr de Jaeger. L’âge chronologique est un âge administratif. En termes de santé, il n’a pas vraiment d’intérêt. Il ne permet pas de rentrer dans le détail de nos capacités fonctionnelles ou de notre capital santé. Il y a des gens de 50 ans qui sont déjà vieux et d’autres de 70 ans qui sont toujours jeunes. Cet écart-là doit donc être mesuré différemment. Nous avons pour cela la notion d’âge physiologique ou âge réel de notre corps. Celui-ci est mesuré à travers nos capacités fonctionnelles. À 20 ans, nous avons généralement, mais pas toujours, les meilleures capacités, à 30 ans c’est un peu moins, à 50 beaucoup moins, etc. Mais nous pouvons toujours travailler, partir en vacances et plus généralement profiter de la vie. Nous nous adaptons à nos capacités fonctionnelles diminuées. Cet âge physiologique est le reflet réel de notre capital santé et il a un autre avantage. Il peut s’améliorer ! Il existe aussi un autre âge qui est l’âge ressenti. C’est l’âge que nous avons l’impression d’avoir. Il est particulièrement trompeur.
F.M. L’objectif serait plutôt de vieillir en bonne santé ?
Dr de Jaeger. En France, la médecine de la longévité vise à conserver ou récupérer le maximum de son capital santé et le conserver le plus longtemps possible. L’immortalité reste du domaine de la science-fiction ! La sénescence est un phénomène extrêmement complexe qui est variable en fonction des gens. Elle est variable également chez un même sujet en fonction de son âge : on ne vieillit pas de la même manière à 25 ans qu’à 40 ou à 80 ans. Cependant, il n’est jamais trop tard pour ralentir le vieillissement. J’aime à parler de modulation de la sénescence ou vieillissement. Il faut aussi bien garder à l’esprit que rester le plus longtemps possible en bonne santé nous permettra de bénéficier de certaines thérapeutiques a l’avenir qui seront disruptives.
F.M. Est-ce possible dès aujourd’hui ?
Dr de Jaeger. Oui, si nous faisons des efforts pour conserver ou retrouver la santé, notre âge physiologique va s’améliorer, alors que notre âge chronologique ne fait qu’augmenter. L’âge physiologique devient ainsi un véritable élément de mesure. C’est pour cela que la médecine de la longévité peut se développer aujourd’hui. Depuis une trentaine d’années, nous développons des paramètres qui permettent de voir si notre âge réel s’améliore ou se dégrade. Nous n’avons pas forcément besoin de machines très complexes (qui existent) pour mesurer cet âge physiologique. Si, à 30 ans, vous montiez cinq étages sans vous arrêter et qu’à 50 ans, vous devez vous arrêter au troisième étage. La capacité à monter les étages devient un critère de santé.
F.M. Comment vivre plus longtemps en bonne santé ?
Dr de Jaeger. Il n’existe pas de pilule magique en tout cas pas pour l’instant. Il nous faut agir sur les principaux mécanismes responsables de la sénescence que nous connaissons aujourd’hui bien. Un des grands mécanismes du vieillissement est la glycation, c’est-à-dire avoir trop de sucre dans notre sang sans pour autant être diabétique. Cet excès de sucre agrège des protéines, les rend non fonctionnelles, crée une réaction inflammatoire locale avec un relargage de radicaux libres ce qui engendre une espèce de « caramélisation du corps ». On peut facilement agir sur cette glycation en réduisant considérablement la consommation de sucre sous toutes ses formes et en augmentant sa masse musculaire, qui consomme aussi du sucre. Agir sur ses muscles est donc également fondamental. Cela permet de jouer sur la densité osseuse, de réduire le risque de chute, d’améliorer le métabolisme glycémique, le métabolisme des graisses, la capacité pulmonaire… Cette modification de l’hygiène de vie est un investissement à long terme.
F.M. Sait-on ce qui a un impact sur la longévité ?
Dr de Jaeger. Oui, nous connaissons les éléments de base mais ils sont mal appliqués. Nous faisons dans notre société exactement l’inverse des habitants des fameuses zones bleues (Okinawa, Sardaigne, Caucase…), dans lesquelles il y a plus de centenaires que dans le reste du monde. Dans ces zones, on retrouve cinq éléments : ces personnes mangent peu, plutôt une diète méditerranéenne, sont toujours en activité physique quel que soit leur âge, elles travaillent toujours et sont donc toujours intégrées à la communauté et elles ont peu de stress.
F.M. Sommes-nous prêts à repousser les limites de l’âge ?
Dr de Jaeger. Il existe des freins à la longévité en bonne santé. L’âge ressenti est le premier. Les études ont montré que c’est généralement entre l’âge de 55 à 70 ans que nous avons l’impression d’avoir 10 à 15 ans de moins que notre âge chronologique, or nous savons que 65 ans est l’âge qui correspond à l’espérance de vie en bonne santé. C’est un vrai problème car les gens ne se rendent pas compte de la réalité de leur état. Si on surestime son état, on ne fait pas ce qu’il faut pour entretenir son organisme. Ensuite, la principale difficulté que nous rencontrons pour améliorer la longévité est que vivre mieux en meilleure santé demande de faire des efforts et que ces contraintes nécessaires à long terme ne donnent des résultats que 5, 10 ans ou encore après, contrairement à la médecine esthétique, qui elle ne demande pas d’effort et donne un résultat immédiat. Les gens ne sont pas prêts à changer cela !
L’influence des gènes sur notre longévité
Contrairement à ce que nous pensons, les derniers travaux menés sur le sujet montrent que nos gènes auraient une influence d’environ 25 % sur notre longévité. Les facteurs qui ont le plus d’impact sur notre espérance de vie sont le mode de vie et l’environnement. Or, nous pouvons agir sur ces facteurs !
À lire :
Médecine de la longévité, une révolution ! Dr Christophe de Jaeger, Éditions Trédaniel, octobre 2023
Bien vieillir sans médicaments dès 40 ans, Dr Christophe de Jaeger, Éditions du Cherche midi, 2024
Julia Rodriguez