Une alerte budgétaire démentie par les chiffres

Le ministère de l’Économie l’avait annoncé : les collectivités locales allaient plomber les comptes publics en 2024, avec un déficit jugé inquiétant. Bercy parlait alors d’un « dérapage budgétaire » massif, pointant du doigt les dépenses conséquentes des régions, départements et communes. Or, les comptes n’étaient pas bons.

D’après les chiffres consolidés de la Direction générale des collectivités locales (DGCL), le déficit des collectivités pour 2024 s’élèverait finalement à moins de 2 milliards d’euros, bien loin des 4,5 milliards évoqués dans les projections initiales de Bercy. Une différence de taille, qui alimente la colère de plusieurs parlementaires.

Colère au Parlement : « une instrumentalisation des chiffres »

Les présidents des commissions des finances des deux chambres – Éric Coquerel (Assemblée nationale) et Claude Raynal (Sénat) – montent au créneau. Dans un communiqué commun publié le 1er avril, ils dénoncent un « manque de rigueur » dans les prévisions gouvernementales et s’inquiètent d’une « instrumentalisation politique » des comptes publics pour justifier une recentralisation budgétaire.

« Le gouvernement a brandi des chiffres non finalisés pour alarmer l’opinion et justifier une reprise en main de la dépense publique locale », tacle Claude Raynal. Même tonalité chez Éric Coquerel, qui parle de « caricature budgétaire » et réclame une transparence accrue dans la communication entre Bercy et les collectivités. Plusieurs élus locaux dénoncent également une pression excessive exercée par l’État pour limiter les dépenses de fonctionnement, notamment dans les petites communes rurales.

Des collectivités plus vertueuses que prévu ?

En réalité, malgré un contexte tendu – inflation persistante, hausse des coûts de l’énergie, revalorisation du point d’indice dans la fonction publique territoriale – les collectivités ont globalement contenu leurs dépenses. Leur épargne brute reste stable, et les investissements sont légèrement en hausse, notamment grâce à la reprise des projets post-Covid, selon une note de la Banque Postale Collectivités locales publiée en mars 2025.

Les maires, présidents de département ou de région se disent pris en étau : d’un côté, les attentes des citoyens en matière de services publics ne faiblissent pas ; de l’autre, l’État appelle à la rigueur. Pour Philippe Laurent, secrétaire général de l’Association des maires de France (AMF), « les collectivités font leur part », mais « on ne peut pas leur demander de faire toujours plus avec toujours moins ».

Vers un bras de fer budgétaire ?

Ce nouvel épisode met en lumière la fragilité de la relation entre l’État et les territoires. La contractualisation budgétaire imposée par la loi de programmation des finances publiques, qui limite la progression des dépenses locales, pourrait devenir un point de crispation majeur dans les mois à venir. D’autant que le gouvernement envisage, selon Les Échos, de réviser les règles d’autonomie financière des collectivités.

En coulisses, plusieurs associations d’élus se préparent à faire front commun. Une réunion inter-associative est prévue à la mi-avril pour porter une parole unie face à Bercy. Le message est clair : les territoires ne veulent plus être les boucs émissaires des dérives budgétaires nationales.

Sources :
Direction générale des collectivités locales (DGCL), chiffres de mars 2025
Banque Postale Collectivités Locales, note d’analyse mars 2025
Communiqué de presse des commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat, 1er avril 2025
Les Échos, article du 28 mars 2025
Association des maires de France (AMF), intervention de Philippe Laurent, mars 2025