Si la Mutualité française salue les conclusions du Ségur de la santé rendues fin juillet, elle estime que la réforme du système de santé, au-delà du périmètre de l’hôpital, doit désormais se concrétiser. Renforcement des coopérations ville-hôpital, exercice regroupé des professionnels de santé, transformation des Ehpad en centre de ressources gériatriques ou encore concentration des ARS sur la régulation de l’offre de soins et la sécurité sanitaire : son président Thierry Beaudet nous détaille les priorités du mouvement mutualiste.
Le Ségur de la santé a introduit des mesures très attendues pour l’hôpital avec, notamment, 8,2 milliards d’euros annuels octroyés pour les revalorisations salariales des personnels, 15 000 recrutements prévus dans le secteur public, l’accélération de la sortie de la tarification à l’acte et l’ouverture de 4 000 lits « à la demande ». Ces annonces sont-elles à la hauteur des enjeux ?
La crise sanitaire que nous traversons a mis en lumière aux yeux du grand public ce que vivent depuis plusieurs années les personnels des établissements sanitaires et médico-sociaux : une pression financière constante, une fragilisation dangereuse des établissements par des réductions d’effectifs et des baisses de moyens, des manques de matériels, des équipes éreintées. La crise contribue à remettre en cause cette prégnance des logiques économiques, dérive de notre société depuis quelques années.
Oui, les attentes sont justifiées, et oui, certaines annonces du Ségur de la santé y répondent.
Les revalorisations salariales des professionnels de santé profitent à la fois aux secteurs public et privé, au sanitaire et au médico-social. Cet accord trouvé avec l’ensemble des parties prenantes est l’un des fondements de la réorganisation du système de santé que nous appelons de nos vœux. Il est indispensable. On ne pourra rien faire sans les femmes et les hommes qui font vivre le système de santé au quotidien. C’est aussi cet accord qui permettra d’éviter une dégradation de la qualité des soins et de l’accompagnement des patients.
Au-delà de ces dispositions correctrices, les annonces du ministre des Solidarités et de la Santé vont dans le sens d’une accélération des transformations du système de santé sur les bases établies par « Ma santé 2022 ». Cette dynamique, la Mutualité française en avait pointé la nécessité dans sa contribution aux débats du Ségur. Mais attention, les Français ne perçoivent pas ou trop peu les changements malgré les nombreuses réformes menées ces dernières années : il faut avancer plus vite et plus loin, avec des résultats tangibles !
La Mutualité française plaide depuis longtemps pour une réorganisation du système de santé avec un appui renforcé sur la médecine de ville. Selon vous, le Ségur a-t-il permis de faire avancer les choses dans ce domaine ?
La Mutualité française souhaite une nouvelle coordination de la médecine de ville et un renforcement des coopérations ville-hôpital. Un principe directeur structure notre vision de la réorganisation du système de santé pour y parvenir : il faut favoriser les liens entre les acteurs de santé. Faisons plus simple, plus collaboratif, plus humain. L’exercice regroupé doit devenir la règle pour le premier recours. Le secteur hospitalier pourra se recentrer sur ses missions.
Pour y parvenir, la Mutualité française propose de généraliser des espaces de santé pluriprofessionnels. Ces espaces assureront la continuité du parcours des patients en positionnant le premier recours comme la porte d’entrée dans le système. Il faut y parvenir rapidement, d’ici cinq ans. Les patients n’admettent plus de devoir s’organiser eux-mêmes, avec ce sentiment diffus mais persistant que d’autres, mieux informés, mieux reliés, seront in fine mieux soignés. Les aspirations du corps médical elles aussi évoluent. Les jeunes médecins, notamment, plébiscitent massivement l’exercice regroupé.
Les conclusions du gouvernement vont dans ce sens, mais il faut renforcer le dialogue territorial entre les élus, les professionnels de santé, les patients, les financeurs… Durant la première vague de l’épidémie, certains territoires ont été confrontés à des difficultés. La gouvernance de notre système apparaît à la fois trop centralisée, trop complexe, trop financière.
Le ministre a évoqué un renforcement des ARS au niveau départemental et un dialogue plus étroit avec les élus locaux. Cette volonté de créer une meilleure proximité avec les territoires pour mieux réguler l’offre et satisfaire les besoins des patients va dans le sens des propositions que vous portez. Comment aller plus loin ?
La crise a placé en haut de notre agenda la question du bon niveau de décentralisation en matière de santé. Pour mieux soigner, mieux prévenir, mieux faire connaître et accepter les axes de santé publique, les réponses aux besoins des Français doivent être davantage organisées au niveau des territoires.
Nous proposons de conforter les Agences régionales de santé (ARS) en les centrant sur deux missions : la sécurité sanitaire et la régulation de l’offre de soins. Elles doivent développer une parfaite intelligence de cette offre, en particulier sur le volet de ses capacités de coopération, pour pouvoir tout à la fois répondre aux besoins de santé spécifiques de leur territoire et à une crise sanitaire. Cette connaissance de l’offre doit aussi systématiquement inclure, à l’égal de l’hôpital public, les acteurs du soin et de l’accompagnement du secteur privé non lucratif, dont les missions d’intérêt général et les compétences sont reconnues.
Parmi les 24 propositions que vous avez émises au mois de juin figurait celle de renforcer les Ehpad pour en faire des centres de ressources gériatriques. De quoi s’agit-il exactement ?
La crise sanitaire met douloureusement en exergue les carences du modèle de l’Ehpad tel qu’il existe aujourd’hui, faiblement médicalisé et aussi trop structurellement en marge des préoccupations des autorités sanitaires. Il doit se transformer afin d’accroître et ouvrir ses compétences médicales sur le territoire. La médicalisation doit passer par la salarisation de médecins généralistes, la présence d’infirmiers en pratiques avancées, y compris la nuit, l’équipement médical de certains lits et la création de nouveaux postes de soignants, les coordonnateurs de parcours.
Nous proposons que les Ehpad contractualisent avec les espaces pluriprofessionnels de santé et l’offre hospitalière pour organiser la réponse aux besoins des Français à l’échelle des territoires.
Ils pourront proposer un bouquet de services modulables et adaptés aux personnes à domicile : télésurveillance 24 h/24 h, équipes mobiles, télémédecine, dispositifs de répit pour les aidants ou aide aux démarches administratives par exemple.
Quelques propositions concrètes pour permettre de faire de l’Ehpad un centre de ressources gériatriques de proximité.
Un « Ségur de la santé publique » doit avoir lieu cet automne. Le volet prévention devrait cette fois en être un axe majeur. Quelles sont vos attentes à ce sujet ?
Un des enseignements majeurs de la crise de la Covid-19, c’est que nous souffrons singulièrement, en France, d’une véritable culture de la prévention. La défiance vis-à-vis des vaccins, par exemple, en est l’un des marqueurs.
C’est en améliorant l’état de santé général de la population qu’on renforce son « immunité » face à tous les risques de santé. Il faut donc ancrer dès le plus jeune âge, puis à tous les âges de la vie, la conviction qu’un comportement favorable à la santé peut permettre de maintenir son état de santé et d’éviter l’apparition des maladies ou leur aggravation.
Pour y parvenir, la Mutualité française plaide pour que la santé publique devienne un sujet véritablement politique, débattu et mobilisant l’ensemble des acteurs de santé et économiques, en particulier de terrain. Les Régions nous apparaissent les structures les plus à même de remplir cet objectif. L’État quant à lui doit systématiquement intégrer les considérations de bien-être et de santé dans l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation de toutes les politiques publiques.