Témoignage d’A.M. qui a pris cette décision il y a maintenant quelques années :
« J’avais déjà pensé à la possibilité de placer ma mère en Ehpad mais je n’avais jamais franchi le pas car elle pouvait encore vivre seule et j’avais la possibilité de passer la voir régulièrement. Je pouvais faire autrement, l’Ehpad n’était pas le seul choix, je l’avais donc écarté des possibilités qui s’offraient à moi. Même si je suis une mère divorcée avec deux enfants et que je suis fille unique. Lorsque ma mère s’est cassé le col du fémur et que l’on a appris qu’elle ne pouvait plus rentrer chez elle et vivre seule, nous étions face à un mur. Je devais m’occuper de mes enfants, je travaillais, je ne pouvais pas rester en permanence avec elle sans quitter mon travail. Mais si je démissionnais je ne pourrais plus subvenir à nos besoins. L’Ehpad était ma seule issue de secours. Ma mère était en danger seule !
Ce fut terrible pour moi, d’avoir dû prendre cette décision d’installer ma mère dans un Ehpad. J’ai dû m’occuper de toutes les démarches administratives. Je savais que je n’avais pas d’autres moyens mais je l’ai quand même très mal vécu. J’avais l’impression d’abandonner ma mère. Pour moi j’avais failli à mon devoir d’enfant. Je me disais que je n’avais pas fait tout ce qui était en mon pouvoir pour la garder avec moi. Je culpabilisais tellement. Cette décision m’a plongé dans un premier temps dans un état de stresse permanent. Je voyais ma mère au milieu de personnes atteintes de différentes formes de démence. Et je me suis rendu compte qu’elle était comme eux, qu’elle est comme eux. Mais au début ce fut très compliqué de l’accepter. Finalement elle est plus en sécurité là bas que chez elle. Avec le temps on l’accepte, je me suis rendu compte de la bienveillance des aide-soignants, qu’elle est bien, et de ce fait la culpabilité prend moins de place. »
L’entrée d’une personne âgée en structure d’accueil est une question angoissante pour les seniors concernés et pour leurs proches. Selon une étude réalisée par le Crédoc, publiée lundi 1er octobre 2020, 80% des personnes interrogées déclarent avoir fait le choix de placer un parent en Ehpad en « raison de l’état de santé et de l’âge ». Il ne faut pas oublier que les personnes qui placent leur parents en Ehpad, sont déjà elles-mêmes âgées. On peut tirer du témoignage précédent plusieurs étapes : Tout d’abord, les familles se retrouvent à moment de la vie où leurs parents sont de moins en moins autonomes, mais peuvent tout de même vivre seuls.
Les familles commencent à réfléchir à l’éventualité de l’Ehpad. Mais comme cette possibilité n’est pas encore nécessaire, elles ne franchissent pas le pas. Vient alors le moment où les proches se retrouvent aux pieds du mur. Leurs parents ne peuvent plus vivre seuls, ils se mettent eux mêmes en danger. Les choix qui s’offrent à eux sont alors très restreints. Il y a celui de les garder dans leur foyer mais le problème reste entier, les enfants devant maintenir une activité professionnelle rémunérée pour vivre, leurs parents seraient alors seuls la journée. Le manque d’autonomie des parents et leur maladie de plus en plus présente, ce choix est impossible.
Pour les familles avec plusieurs enfants, si aucun des enfants ne peut prendre en charge les parents, alors l’Ehpad devient pour eux aussi leur seule option, car ils rencontrent les mêmes problématiques. Il est vrai que certaines familles ne pensaient jamais en arriver à ce point, il faut parfois se rendre à l’évidence, elles ne peuvent pas faire autrement. Une fois les parents dans l’établissement on peut passer par plusieurs états. Le stresse et l’anxiété submergent les proches. Est-ce que j’ai eu raison de franchir le pas? N’y avait-il vraiment aucune autre possibilité ? Seront-ils en sécurité et bien traités ? Toutes ces questions qui les rongent peuvent faire sombrer des familles dans la dépression, car c’était un choix trop lourd à porter pour elles.
La culpabilité aussi est un sentiment qui envahie souvent les enfants. Ils se sentent coupables de laisser leurs parents, de les abandonner, mais ils se jugent aussi comme étant de mauvais enfants, car ils n’ont pas pu prendre soin d’eux comme ils l’auraient voulu. Le jugement que les autres peuvent porter sur les enfants qui placent leurs parents en Ehpad, accentue bien souvent ces sentiments. Le regard des autres est difficile à porter et à supporter. Les personnes qui ne sont pas confrontées à ce choix difficile peuvent se sentir supérieur, estimer qu’elles sont alors de meilleures personnes qui prennent leur rôle d’enfant plus à coeur. Or c’est un raisonnement faux, il faut beaucoup de courage pour décider d’installer un parent en Ehpad. On peut ajouter à tout cela la souffrance des parents et des enfants. Celle des parents qui doivent s’adapter à un nouvel environnement, vivre avec des personnes en meilleur ou plus mauvaise santé qu’eux. Et celle des enfants qui ne sont plus reconnus par leurs parents, ils doivent jouer sur d’autres mémoires comme le toucher ou la mémoire olfactive.
Les familles font aussi face au changement de caractère des parents qui devient plus dur. Elles doivent donc réapprendre à être proches de leurs parents.